J'ai accompagné, la semaine dernière, une jeune fille qui était convoquée chez un juge d'instruction, ensuite de la plainte qu'elle avait déposée contre son père pour des faits de viol et d'agressions sexuelles.
Cette jeune fille est aujourd'hui âgée de 19 ans et a été violée par son père alors qu'elle avait entre six et 12 ans.
Depuis 1998, la loi prévoit que les auditions de victimes doivent être filmées. Le but de cette loi était d'éviter aux victimes d'avoir à systématiquement reparler de leurs histoires et de ce qu'elles avaient vécu devant les différents intervenants d'une procédure judiciaire.
Parce qu'après l'avoir révélé à un proche, il fallait l'expliquer aux gendarmes, puis à l'expert psychologue qui était désigné, puis éventuellement au médecin légiste chargé de vous examiner, puis encore au juge d'instruction chargée d'informer sur la plainte, de sorte que les victimes vivaient une souffrance extrême bien inutile.
Malgré l'existence de cette loi, aucun magistrat ne prend soin de visionner les enregistrements vidéo des plaintes déposées par les victimes et convoque systématiquement ces dernières pour les entendre une nouvelle fois.
On a l'habitude d'expliquer que lorsqu'une victime est amenée à expliquer ce qui lui est arrivé, elle le revit, de sorte que les auditions ravivent évidemment les souffrances qu'elle endure.
J'ai eu, une fois encore, l'occasion de le vérifier. L'audition de Mélissa été longue et pénible. À chaque fois qu'elle devait expliquer avec précision ce que son père lui avait fait, elle précédait ses propos de longs moments de silence, où l'on pouvait voir sur son visage la souffrance qu'elle vivait, car elle revivait tout simplement les scènes qu'elle devait décrire.
Dans la situation de Mélissa, c'était encore plus compliqué, dans la mesure où son père avait pris soin de systématiquement lui bander les yeux lorsqu'il l’agressait sexuellement.
À la question du juge du juge d'instruction sur le point de savoir si elle avait été pénétrée par le sexe de son père ou par ses doigts, elle était dans l'incapacité d'y répondre, car elle ne pouvait pas voir ce que son père introduisait en elle.
Il est bien évident qu'il est nécessaire pour une victime de verbaliser sa souffrance. Mais il existe je pense une différence flagrante entre verbaliser et être obligé de répéter à l'envi les pires moments de son existence.
De plus, on peut imaginer le coût que représente l'enregistrement vidéo des dépositions des victimes.
Finalement, et au jour où je rédige ce billet, ces dépenses sont parfaitement inutiles car depuis 1998, je pense avoir été amené à visionner une audition en cour d'assises d'une victime alors que j'ai malheureusement été amené à accompagner des dizaines d'entre elles.
Il serait bon que pour une fois les décisions prises par nos législateurs soient suivies d'effet et puissent concrètement permettre une amélioration du système.
Cette difficulté est tellement récurrente que je vais tenter d'interpeller le ministre de la justice sur ce point et je ne manquerai pas vous faire connaître son éventuelle réponse.