lundi matin. 8:15. Je retrouve Magali au pied des marches de la cour d'assises de Colmar, frigorifiée, tendue, angoissée.
Je l'ai rencontré sur le plateau de toute une histoire il y a quelque temps où elle était venue témoigner dans une émission dont le thème était : « j'ai été témoin d'un crime ».
Le 13 août 2010, elle était partie en balade avec son frère Anthony, chacun au guidon d'une moto. Il faisait beau, et Magali venait de finir de faire faire la révision de sa moto. Ils avaient tous les deux décidés de rentrer chez eux. Ils n'imaginaient pas qu'ils étaient sur le point de croiser la route d'un fou au volant.
C'est volontairement que cet homme finira par percuter la moto conduite par Anthony, qui sera mortellement blessé.
Cet homme était renvoyé devant la cour d'assises de Colmar pour des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Le procès était initialement et curieusement prévu sur quatre jours et dés notre arrivée, la présidente de la cour d'assises nous fait savoir que finalement, elle entend que ce dossier soit jugé en deux jours.
Le simple fait de me voir semble déjà un peu rassurer Magali.
Il faut comprendre que lorsqu'une famille est touchée, c'est souvent un membre de cette famille qui va, en quelque sorte, être le porte-parole des autres, et subir toute la charge de la conduite de la procédure. C'est le cas de Magali.
Du fait de cette audience raccourcie, il me faut d'ores et déjà préparer Magali au fait qu'elle va être amenée à témoigner dans la journée. C'est un moment particulièrement difficile pour elle, car elle se remémore tous les jours ces images à jamais gravé dans sa mémoire qui consiste à revivre les derniers instants de son frère.
L'audience commence, et rapidement, la présidente va interroger l'accusé. Après avoir étudié les éléments de sa personnalité, qui, sont particulièrement péjoratifs, elle aborde les faits.
Ce garçon est décrit par les psychologues et les psychiatres comme parfaitement intolérant à toute forme de frustration. C'est donc avec une certaine finesse que la présidente le mettra face à ses contradictions sans jamais le heurter de sorte que l'audience peut se poursuivre dans une certaine sérénité.
J'ai placé Magali juste à côté de moi alors que le reste de sa famille est au premier rang de la salle d'audience. Il m'a semblé qu'il était important pour elle d'avoir une place particulière puisque malheureusement, le sort lui en avait d'ores et déjà donné une pendant les faits.
Une fois énoncée la thèse totalement contredite par les éléments techniques de ce dossier de la part de l'accusé, c'est autour de Magali de se trouver à la barre de la cour d'assises pour témoigner.
Elle va réussir à expliquer, avec une extraordinaire dignité, et en détail, l'enchaînement des faits qui ont présidé à la mort de son frère.
Elle réussira même à répondre aux questions parfois très tendancieuses de l'avocat de la défense en restant maître d'elle-même, mais tout en prenant soin, à chaque réponse, de lui signifier son plus profond mépris.
Une fois que son témoignage était terminé, et que dans l'après-midi, l'expert en accidentologie était venu faire son exposé, qui corroborait en tout le témoignage de Magali, la messe était dite pour ce qui concerne le déroulement des faits.
L'audience se terminera bien tard, après avoir entendu le long témoignage du psychiatre et du psychologue amenés à examiner la personnalité de l'accusé.
Le mardi matin, je retrouve Magali dans les mêmes conditions, toujours aussi frigorifiée, et peut-être un peu moins angoissée, au bas des marches de la cour d'assises. Cette fois, l'angoisse est partagée car je vais être amené à m'exprimer dans les intérêts de la famille de la victime dès la reprise d'audience.
J'expliquerai ce que signifie la perte d'un frère, d'un fils, d'un petit-fils, d'un oncle ou d'un parrain, puisqu'Anthony était tout cela à la fois.
Je ferai, dans ma plaidoirie, une place particulière à Magali car la relation qu'elle entretenait avec son frère était particulièrement forte. Lorsqu’Anthony nait, Magali a déjà à 15 ans et elle est en quelque sorte sa maman de substitution. C'est auprès d'elle qu'Anthony se confiait, c'est à elle qu’Anthony disait tout, peut-être plus qu'à sa véritable mère.
De plus Magali a eu l'infortune de cumuler à la fois son statut de sœur la plus proche d’Anthony mais aussi de témoin privilégié de son décès. Des images resteront à jamais gravées dans la mémoire de cette femme.
L'avocate générale prendra la parole après moi et proposera une peine de 10 années de réclusion criminelle pour des faits qu'elle a passé son temps à qualifier de crime en faisant comprendre à toutes les assemblées notamment aux jurés qu'il ne s'agissait pas d'un banal accident de la circulation.
L'avocat de l'accusé reprendra, curieusement, la thèse de son client quant aux faits, et s'arrêtera longuement sur le profil psychologique de ce dernier, précisant qu'il n'était pas totalement responsable de ses actes au moment des faits.
Après 2:00 de délibéré, la cour déclara l'accusé coupable de l'intégralité des faits qui lui étaient reprochés en le condamnant à 10 ans de réclusion criminelle, telles que sollicités.
Il reste maintenant à Magali à reprendre le cours de sa vie, a tenter de vivre avec tous ces souvenirs, et faire en sorte que les derniers moments d'Anthony ne soient pas systématiquement présents à son esprit et que ce dernier permette aux souvenirs plus anciens et plus heureux d'émerger à nouveau.
J'ai signifié à Magali que je serai là pour elle tant qu'elle en aurait besoin car, comme vous le savez, ce qui m'importe, c'est que les gens qui croisent ma route aillent mieux. J'espère que ce sera bientôt le cas de Magali.
Si j'ai intitulé cet article par son prénom et non pas par celui de son frère, c'est qu'il me semblait important que lui soit conféré la place primordiale qui a été la sienne tout au long de ce combat et de ce procès.
Je ne crains pas d'écrire quelle est la principale victime de cette affaire et qu'il convenait, en quelque sorte, de lui rendre hommage.